Une lettre aux anciens datée du 1er septembre 2017 apporte quelques modifications aux procédures concernant la gestion en interne des affaires de pédophilie. Ces nouvelles mesures seront-elles suffisantes ?
Il s'agit d'une lettre destinée à affiner et clarifier les procédures utilisées par les anciens de toutes les congrégations des Témoins de Jéhovah lorsque des affaires de pédophilie doivent être traitées. Cette lettre est une révision de la lettre du 1er août 2016, qui était déjà une révision de la lettre datée du 1er octobre 2012. Ces trois lettres (en anglais et en français pour la dernière) peuvent être téléchargées à la fin de cet article.
Bien que les tables des matières des deux dernières lettres (2016 et 2017) soient identiques, quelques différences sont à noter dans quelques-unes des 27 sections qui les composent.
"Le droit de rapporter les faits aux autorités"
L'un des reproches les plus courants faits aux Témoins de Jéhovah devant les tribunaux dans les affaires de pédophilie est que les anciens n'ont pas pour instruction de dénoncer systématiquement les faits aux autorités compétentes lorsqu'ils en sont informés. Alors que la plupart des institutions gérant des enfants en leur sein le font systématiquement (les écoles, collèges, lycées par exemple), les Témoins de Jéhovah ont toujours refusé de mettre en place cette mesure qui paraît pourtant tellement évidente.
Le livre des anciens (version 2010) déclare à ce sujet :
"Ne jamais suggérer à quelqu'un de ne pas rapporter une allégation de pédophilie à la police ou autre autorité" - Livre des anciens ("Faites paître le troupeau de Dieu", 2010)
Il s'agit d'une formulation bien timide, utilisant une double négation peu claire. Il s'agit purement et simplement d'un encouragement à la passivité des anciens. C'est cette instruction qui était valable jusqu'au 1er septembre dernier. En effet la nouvelle lettre exhorte les anciens à barrer cette phrase de leur livre et à prendre en compte cette nouvelle directive :
"Le traitement par la congrégation d’une accusation d’abus sexuel sur enfant n’a pas vocation à remplacer la gestion de l’affaire par les autorités publiques (Rom. 13:1-4). On informera donc clairement la victime, ses parents ou toute autre personne portant à la connaissance des anciens une allégation de cette nature qu’ils ont le droit et le devoir de signaler les faits aux autorités publiques. Les anciens n’adressent aucun reproche à celui qui décide de faire un tel signalement" - Lettre aux anciens du 1er septembre 2017
Il y a indéniablement une amélioration dans la formulation, mais on remarque qu'il ne s'agit toujours pas d'une dénonciation systématique faite par les anciens qui ont connaissance des faits, ni même d'une exhortation qu'ils devraient adresser aux personnes concernées. Non, encore une fois il s'agit d'un encouragement à la passivité, de simplement informer les personnes qu'elles ont "le droit et le devoir" de dénoncer à la police et que si elles choisissent de le faire il n'y aura pas de critiques ou de représailles de la part de l'organisation (c'est la moindre des choses !). Encore combien d'années, de procès et de victimes malheureuses faudra-t-il encore avant de lire une phrase du genre :
"La victime, ses parents ou quiconque est informé d'une allégation de viol sur mineur devrait immédiatement rapporter les faits à la police et aux services sociaux, et suivre les instructions de ces autorités pleinement qualifiées pour gérer ce genre d'affaires." - Lettre aux anciens du 1er septembre 2050 ??
"Tout abus sur enfant est une infraction pénale"
Une autre différence de taille entre les lettres de 2016 et de 2017 se trouve à la section 5, intitulée "Considérations légales". Voici ce que déclarait la lettre de 2016 :
"Considérations légales: Dans certaines juridictions, les individus qui ont connaissance d'allégations de pédophilie sont obligés par la loi de rapporter ces allégations aux autorités séculières. Dans tous les cas, la victime et ses parents ont le droit absolu de rapporter ces allégations aux autorités" - Lettre aux anciens du 1er août 2016
Dans la lettre de 2017 nous lisons :
"Aspects juridiques et signalement aux autorités : Tout abus sur enfant est une infraction pénale. Dans certaines législations, comme en France, une personne qui a connaissance d’une accusation d’abus sur mineur est légalement tenue de la signaler aux autorités administratives ou judiciaires" - Lettre aux anciens du 1er septembre 2017
Au cours des nombreux procès qui se sont déroulés et qui se déroulent toujours à travers le monde, la société Watchtower a toujours eu du mal à reconnaître la nature criminelle des actes pédophiles, préférant parler de "péché". Il s'agit encore d'un (petit) progrès de l'organisation, qui finit par céder sous la pression des juges. On note aussi la disparition de la formulation "droit absolu de rapporter", souvent pointée du doigt dans les tribunaux. Cette formule avait pour effet de placer le lourd fardeau de la dénonciation obligatoire sur les seules épaules des victimes et de leur famille, permettant aux anciens (donc à l'organisation) de se dédouaner de toute responsabilité dans ce domaine lorsque la loi impose une dénonciation systématique aux autorités. Ce n'est désormais plus le cas. Il reste toutefois un problème de taille : devant les tribunaux les Témoins de Jéhovah invoquent souvent le "secret de la confession" pour justifier la non dénonciation aux autorités... En outre le problème reste entier dans les pays où la loi n'impose pas une dénonciation systématique.
Qu'est-ce qu'un "mineur mature" ?
Un autre point d'attention soulevé dans la lettre de 2017 concerne le traitement des victimes de pédophilie. En effet, il a souvent été reproché aux Témoins de Jéhovah de soumettre les victimes présumées à des interrogatoires gênants menés dans le cadre des "comités judiciaires" (tribunaux internes). A ce sujet la nouvelle lettre déclare au §14 :
"Les victimes d’abus sexuel sur enfant ne font pas l’objet d’un comité de discipline religieuse. Toutefois, dans le cas où un mineur mûr a participé de son plein gré à une action répréhensible, le collège des anciens jugera peut-être qu’une action de la congrégation se justifie. Avant d’engager quoi que ce soit, deux anciens devront appeler le département pour le service." - Lettre aux anciens du 1er septembre 2017
Voici encore une formulation qui apporte un lot d'améliorations mais qui pose aussi de sérieuses questions. En effet, sur quels critères les anciens vont-ils se baser pour déterminer qu'un mineur est mature ou non ? Sur quels critères vont-ils se baser pour évaluer la volonté de l'enfant ou du jeune dans les actes sexuels subis ? Comment le "département pour le service", bien loin de la réalité du terrain, peut-il juger à distance de ces affaires ? Tout cela laisse beaucoup d'ambiguïté et beaucoup de marge d'erreur possible pour des anciens qui, rappelons-le, ne sont pas censés être des policiers rompus à ce genre d'affaires. Dans ces conditions la déclaration "Les victimes d’abus sexuel sur enfant ne font pas l’objet d’un comité de discipline religieuse" devient vide de sens tant ses limites sont rendues floues. La gestion strictement interne de ces affaires continuera malheureusement à causer de graves dégâts humains tant que la subjectivité des anciens entrera en ligne de compte. Est-il vraiment si difficile de demander aux anciens de remettre ces affaires entre les mains des autorités compétentes ? On se doute que la volonté de l'organisation à protéger sa réputation coûte que coûte n'est pas étrangère à ce genre de consignes.
D'autres points mineurs sont révisés dans cette lettre mais dans l'ensemble, à part les points soulevés ci-dessus, elle se contente de reprendre et de synthétiser les instructions qui sont déjà disponibles dans le livre des anciens, concernant les comités judiciaires notamment. On constate également que la règle très controversée des "deux témoins" pour valider une accusation de pédophilie n'est toujours pas remise en cause.
Conclusion
Ces nouvelles consignes vont dans le bon sens, on ne peut le nier. Mais on ne peut pas non plus s'empêcher d'y voir des artifices mis en place à la hâte en réponse à la pression judiciaire de plus en plus intense. L'organisation tente désespérément d'éviter les dénonciations systématiques aux autorités, préférant coûte que coûte protéger son image plutôt que les enfants de ses membres. Mais ces dernières années ont démontré que cette politique a des résultats catastrophiques. Les Témoins de Jéhovah ne cessent de répéter qu'ils "abhorrent la pédophilie" et on les croit volontiers ! Mais les problèmes arrivent lorsque de tels actes se produisent dans les congrégations. Tout est fait pour que la gestion interne du "péché" soit prioritaire par rapport à la gestion du crime par les autorités civiles. Les anciens ne sont toujours pas encouragés à prendre leurs responsabilités en alertant eux-mêmes les autorités. En bref, l'organisation se renferme toujours sur elle-même et se montre incapable d'apporter une réponse claire, adéquate et efficace aux affaires de pédophilie qui éclatent en son sein. Tout n'est pas réglé, loin de là. Espérons que les procès en cours et à venir forceront l'organisation à faire davantage de changements pour corriger ses erreurs et arrêter la gestion purement interne de ces crimes. En attendant, les affaires se suivent et se ressemblent.
Téléchargements
Télécharger la lettre aux anciens du 1er septembre 2017 (PDF, en anglais)
Télécharger la lettre aux anciens du 1er août 2016 (PDF, en anglais)
Télécharger la lettre aux anciens du 1er octobre 2012 (PDF, en anglais)
Note : si un ancien souhaite me faire parvenir les lettres en français, il peut me les envoyer à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. La discrétion et la confidentialité seront bien entendu assurées.
[Mise à jour du 16/09/2017]
Ci-dessous la lettre en français, merci à la personne qui me l'a gentiment envoyée !
Télécharger la lettre aux anciens du 1er septembre 2017 (PDF, en français)
Commentaires
La conclusion de la lettre est très instructive et en dit long sur les motivations de la wt.
Il est dit que les instructions données dans cette lettre sont avant tout la "défendre la sainteté du nom de Jéhovah".
En d'autres termes, (les anciens avisés et vigilants je l'espère ne seront pas dupes) il faut avant tout protèger la réputation de l'organisation wt !!!!
À bon entendeur
Fraternellement,
Waite and See
Toi même Thomas tu dis que depuis les anciens sont tenus de ne jamais interdire les rapports à la police. C'est clair. Maintenant, tu cherches une double négation ? Lol! En tout cas, comme toute organisation religieuse, nous avons un droit de regard en cas d'immoralité sexuelle. Personne ne peut nous interdire ce droit: nous sommes une religion.
Aussi, saches que depuis 1986 au moins, nous mettons régulièrement en garde contre la pédophilie dans les livres, les Tour de Garde et les Réveillez-vous! que nous donnons gratuitement partout. Quelle autre religion peut se targuer de donner de solides mises en garde contre la pédophilie comme nous le faisons ?
Si vous aviez suivi toutes les affaires qui s'enchaînent depuis des années, vous auriez constaté que les Témoins de Jéhovah sont les pires en terme des gestion des affaires de pédophilie !
Vos meilleurs ennemis les catholiques, pour ne citer qu'eux, on depuis des années reconnu publiquement le problème, se sont excusés à de nombreuses reprises et ont mis en place des actions concrètes pour endiguer le problème (site internet pour dénoncer les abus par exemple voir www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/07/22/01016-20160722ARTFIG00103-l-eglise-catholique-lance-un-site-internet-contre-la-pedophilie.php)
Les Témoins de Jéhovah sont encore très loin derrière, ils en sont encore à nier l'existence du problème et à faire petites modifications par-ci par-là au gré des menaces judiciaires ! Aucune compassion pour les victimes, tout ce qui les intéresse c'est de ne pas perdre trop de plumes dans les procès...
Bref, relisez les compte-rendu de la Commission Royale Australienne je pense que vous y apprendrez beaucoup de choses !
Cordialement
Thomas