Voici une lettre ouverte que m'a transmise un Témoin de Jéhovah. "Nicodème" a envoyé cette lettre à plusieurs associations de défense de la liberté de culte et de religion et m'a autorisé à en publier cette version plus courte afin de témoigner au plus grand nombre de sa situation, loin d'être un cas isolé. N'hésitez pas à laisser des commentaires pour le soutenir dans sa démarche et peut-être joindre vos efforts aux siens afin de défendre notre liberté de quitter une religion ou d'en changer sans contrainte.

Il m’est impossible de pouvoir quitter le mouvement religieux des "Témoins de Jéhovah" sans recevoir en contrepartie de graves conséquences morales liées à la mise en place de mesures xénophobes à l’égard de tous ceux qui en sortent.

Suite à mon éducation religieuse maternelle radicale je suis entré dans le mouvement il y a quelques dizaines d’années, en me faisant baptiser, en allant aux réunions hebdomadaires organisées, en travaillant quelques années comme bénévole au sein du siège ("Filiale") français (Association Cultuelle des Témoins de Jéhovah de France - ACTJF), et en remplissant chaque mois un "rapport d'activité" relatant mon prosélytisme actif.

J’ai toujours refusé de briguer la responsabilité "d’ancien" (responsable religieux), comprenant très rapidement le danger d’exercer une autorité morale sur des personnes dont la soumission est enseigné comme une vertu, l’usage de l’intelligence comme un péché d’orgueil, et devant soi-même défendre des croyances et dogmes venant du "collège central" (groupe masculin de gardiens de la doctrine, autoproclamés aptes par Jéhovah pour interpréter la Bible et fournir un code de conduite pour les adeptes) qui sont en dissonance avec ses propres convictions intimes. Je n’ai jamais fait d’éducation religieuse à mes enfants, au moyen d’une "étude biblique" en question /réponse formatée, manichéenne, binaire, dont l’objectif est l’obéissance et non la réflexion ou l’ouverture d’esprit.

Il y a 10 ans environ j'ai cessé mon activité de prosélyte et n'ai plus rendu de rapport d'activité. Officiellement je suis passé du statut de "proclamateur" à celui "d'inactif". Progressivement je n'ai plus participé aux réunions collectives.

Vous devez savoir que pour le mouvement cela ne veut pas dire que vous n'en faites plus partie, même si vous ne faites plus rien pour l'organisation ni n'assistez à leurs rassemblements.

Ce statut "d'inactif" ou maintenant de "refroidi" (sic) fait que je suis considéré comme ayant potentiellement besoin d'aide pour revenir dans la "foi", même si paradoxalement mes anciens "amis" Témoins de Jéhovah restent distants avec moi car mon attitude est considérée officiellement comme une "mauvaise compagnie" car potentiellement corruptrice... Il n'y a que les "anciens" de l'église locale (congrégation) qui sont sollicités pour me rencontrer afin de me faire revenir dans le chemin de la soumission…

Pour ce qui me semble être de graves et dangereuses dérives sectaires je souhaiterais que l'on ne me considère plus comme Témoin de Jéhovah, mon éloignement définitif n'étant pas pour eux suffisant pour sortir de ce mouvement religieux.

Il est prévu pour cela le statut du "retrait volontaire", qui consiste à informer par courrier l'organisation de son souhait de la quitter.

Malheureusement le statut de "retiré volontairement " sera soumis à l'ostracisme et à la discrimination des autres Témoins de Jéhovah, y compris des membres de ma propre famille qui en font partie. Cela est parfaitement intolérable, dangereux émotionnellement et contraire à la loi qui donne à chacun le droit de quitter une religion sans en subir des représailles.

Dans le livre "Organisés pour faire la volonté de Jéhovah” - imprimé par la société "Watchtower" qui en est l'organe officiel et à laquelle chaque membre doit obéissance - livre qui est à usage interne à l'organisation, déclare :

"L’expression "retrait volontaire" désigne la démarche d’un membre baptisé de la congrégation qui renie délibérément son état de chrétien en déclarant ne plus vouloir être considéré, ou connu, comme Témoin de Jéhovah. Ou bien il renonce à sa place dans la congrégation chrétienne par ses actes, par exemple en se joignant à une organisation profane dont les objectifs sont contraires aux enseignements de la Bible et qui tombe par conséquent sous le jugement de Jéhovah Dieu (Is. 2:4 ; Rév. 19:17-21).

Quand quelqu’un se retire volontairement, sa situation devant Jéhovah est très différente de celle d’un chrétien inactif, c’est-à-dire qui ne prêche plus. Un chrétien peut être devenu inactif parce qu’il n’étudiait pas régulièrement la Parole de Dieu ou que des difficultés personnelles ou la persécution lui ont fait perdre son zèle pour le service de Jéhovah. A une telle personne, les anciens et d’autres membres de la congrégation continuent d’apporter une aide spirituelle appropriée (Rom. 15:1 ; 1 Thess. 5:14 ; Héb. 12:12).

Par contre, dans le cas où un chrétien se retire volontairement, on fait une brève annonce pour informer la congrégation, en ces termes : « [Nom de la personne] n’est plus Témoin de Jéhovah. » On adopte envers lui la même attitude qu’envers une personne excommuniée. L’annonce doit être validée par le coordinateur du collège des anciens." - Livre "Organisés pour faire la volonté de Jéhovah" page 142. (je souligne)

Premier commentaire qui n'est pas l'objet principal de ma demande d'aide mais qui témoigne du sectarisme des Témoins de Jéhovah : celui qui quitte ce mouvement "renie délibérément son état de chrétien en déclarant ne plus vouloir être considéré, ou connu, comme Témoin de Jéhovah". Comprenez qu'ils se considèrent être à eux seuls les "vrais" Chrétiens, 99% des chrétiens dans le monde étant par conséquent dans la "fausse religion". C’est ce qu'ils revendiquent dans leurs publications, étant seuls "agréés par Dieu sur terre" et "détenant la vérité et la seule voie de salut" face à la prochaine destruction du monde "mauvais " sous l'emprise de Satan et dont seuls ceux qui font allégeance à Jéhovah seront sauvés de ce génocide planétaire réalisé par les armées de Jéhovah et de Jésus...

S’octroyer le jugement -présomptueux et risible si ce n'était pas une dérive sectaire - sur mon état de chrétien, qui reste une position personnelle, est à mon sens un abus de droit.

Second commentaire, sachez que lorsqu'une personne se retire volontairement, les responsables locaux ("anciens") ont pour obligation de transmettre à la filiale ACTJF une fiche "S79", qui contient le NOM, PRENOM, NOM/N°CONGREGATION, DATE DE L'EXCLUSION, DATE DE L'ANNONCE DU RETRAIT VOLONTAIRE. Dans la majorité des cas, ce transfert s'effectue sans aucun consentement éclairé de la personne et a posteriori, en dehors de tout respect de loi qui protège l'individu, et pour poursuivre sur l'illégalité de la méthode, cette fiche est conservée à vie.

Comme le précise la publication des Témoins de Jéhovah, se retirer volontairement vaut de ses anciens coreligionnaires cette situation : "On adopte envers lui la même attitude qu’envers une personne excommuniée."

La Watchtower (WT) donne à ses membres, des instructions leur demandant de ne "plus fréquenter" ceux qui quittent son organisation (excommuniés, ou retirés volontairement), même si ces derniers font partie de leur famille proche : parents, enfants, frères, sœurs. De fait, celui qui quitte les Témoins de Jéhovah est non seulement exclu de l’organisation, mais également exclu socialement et exclu de sa propre famille demeurée au sein de la communauté. Ces instructions ont pour but d’empêcher le départ des adeptes de l’organisation et de contraindre celui qui a néanmoins quitté l’organisation, à y revenir. C’est ce que certains appellent un chantage affectif ou un prosélytisme forcé.

Si le prosélytisme d’un mouvement est légitime, il ne saurait en aucun cas nuire à celui qui n’y répond pas favorablement. Or, c’est ici le cas puisque "l’excommunié" ou le "retiré" perd définitivement ses liens familiaux et sociaux tant qu’il ne répond pas favorablement aux manœuvres coercitives de la WT.

Le site internet officiel de l'organisation (JW.ORG) répond à la question "Les Témoins de Jéhovah rejettent-ils les ex-Témoins ?" dans une rubrique "Qui sommes nous ?" à l’intention des visiteurs curieux (https://www.jw.org/fr/temoins-de-jehovah/faq/excommunication/).

Il est intéressant de voir l’opération de communication, pour ne pas dire de mauvaise foi ou de double langage, que constitue la réponse où chaque mot est choisi très précisément.

"Certains qui ont été baptisés Témoins de Jéhovah ne participent plus à l’évangélisation et parfois même cessent de se joindre à l’assemblée locale. Sont-ils rejetés ou exclus ? Absolument pas. Au contraire, nous leur tendons la main et cherchons à raviver leur foi."

Il n’est question ici que des "inactifs" ou "refroidis", comme moi, pour lesquels la main est tendue par les anciens et non par les autres membres de l’église locale, pour qui je reste une "mauvaise compagnie" qui risque de le détourner du "droit chemin".

"Et si quelqu’un commet une faute grave ? Il n’est pas automatiquement excommunié. Maintenant, si un Témoin prend l’habitude d’enfreindre les lois morales de la Bible et qu’il ne se repente pas, il sera excommunié. La Bible est très claire à ce sujet : “Ôtez le méchant du milieu de vous” (1 Corinthiens 5:13)."

Le message ici a le mérite de la vérité, avec toute l’inhumanité qui correspond à leur radicalisation. Le problème viendra de ce que représente pour eux le fait d’enfreindre une loi morale biblique, dans leur propre définition du "méchant". Certains ont été excommuniés parce qu’ils ont dénoncé l’attitude de l’organisation concernant l’ignominieuse gestion interne de la pédophilie… L’autre problème vient que cette même attitude discriminante et ostracisante est appliquée à celui qui souhaite quitter volontairement le mouvement, comme c’est mon cas !!

"Que se passe-t-il dans le cas où un homme est excommunié mais que sa femme et ses enfants restent Témoins ? Leur pratique religieuse s’en trouve affectée, c’est vrai ; n’empêche que les liens du sang et les liens conjugaux perdurent. Ils continuent de mener une vie de famille normale et de se témoigner de l’affection."

Ici est présenté comme une généralité ce qui correspond au seul cas très marginal de l’excommunié vivant sous le même toit que sa famille proche (conjoint, parents, enfants). Il y a tromperie délibérée par l’omission volontaire des autres cas, dont le mien.

"Une personne excommuniée peut assister à nos offices. Si elle le désire, elle peut aussi bénéficier de l’aide de ministres du culte dans le but de redevenir Témoin. Quelqu’un qui a été excommunié mais qui manifeste un désir sincère d’appliquer les principes de la Bible et qui abandonne ses pratiques sera toujours le bienvenu au sein de l’assemblée des fidèles."

Il est scandaleusement navrant de présenter ce signe de bienvenue, sachant que personne ne lui adressera la parole - même pour lui dire bonjour - ni les éventuels membres de sa famille ! Les réunions sont publiques de toute façon. C’est aussi une présentation inavouée du chantage affectif qui est violemment mis en œuvre. L’excommunié devra patienter de longs mois pour prouver par sa présence silencieuse et humiliante à l’église locale son souhait de réintégration. Il devra repasser ensuite devant un groupe d’anciens, avouer ses "fautes", et dépendre de leur bon vouloir pour être "réintégré" et profiter de l’accueil du groupe fusionnel !

Toujours dans la même rubrique du site jw.org, cette question est abordée : Une personne a-t-elle le droit de changer de religion ? (https://www.jw.org/fr/temoins-de-jehovah/faq/changer-de-religion/) :

"Oui, la Bible montre que les gens ont le droit de changer de religion. Elle parle de nombreuses personnes qui ont choisi de ne pas suivre la religion de leur famille, et qui ont décidé par elles-mêmes d’adorer le vrai Dieu. La Bible reconnaît même qu’une personne a le droit de faire le choix malheureux d’abandonner le culte que Dieu approuve.

L’ONU qualifie le droit de changer de religion de "fondement du droit international relatif aux droits de l’homme". La Déclaration universelle des droits de l’homme atteste ce droit et affirme que toute personne a "la liberté de changer de religion ou de conviction" et "de chercher, de recevoir et de répandre [...] les informations et les idées", notamment religieuses. Bien sûr, ces droits s’accompagnent de l’obligation de respecter les droits d’une personne à garder ses croyances et à refuser d’accepter les idées qu’elle ne partage pas."

La citation du "droit international relatif aux droits de l’homme" par les Témoins de Jéhovah concernant la liberté de croyance, je la revendique également, ainsi que l’obligation qui doit m’être faite de me respecter dans mon choix de les quitter officiellement, parce qu’on ne peut le faire selon eux par simple arrêt de prosélytisme. Bien sûr, comme c’est de coutume chez eux, la citation sur les Droits de l’Homme s’arrête là. Je tiens donc à la poursuivre :

Sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. - Article 31 de la loi du 09/12/1905

Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix. - Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, articles 18, 20, 23

Toute personne a le droit de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement, sans crainte de faire l'objet d'intimidations, de discriminations, de violences ou d'attaques. Les personnes qui abandonnent leur religion ou conviction, ou en changent, ainsi que les personnes ayant des convictions non théistes ou athées, devraient être également protégées, de même que les personnes qui ne professent aucune religion ou conviction. - Directive européenne du 24 juin 2013 : No 11491/13

Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir une religion - Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou la conviction, du 25 novembre 1981, Préambule et art 1

Me voilà contraint soit d’accepter mon sort de futur "retiré volontaire" ou "d’excommunié", soit, si j’en ai l’énergie, de porter plainte et me battre pour faire valoir ma liberté de quitter ma religion ou d'en changer sans contraintes ni chantage affectif.

Nicodème

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